الأحد، 24 يناير 2010





Dossier réalisé par Badreddine BEN HENDA



La famille éducative, comme on dit souvent, est-elle heureuse entre les murs de l’école ? Peut-on parler de bien-être dans nos établissements scolaires et universitaires ? Y travaille-t-on dans des conditions épanouissantes ? L’école n’est-elle pas plutôt devenue un espace de malaise aussi bien pour les éducateurs que pour leur jeune public ?

La confiance règne-t-elle entre les enseignants et les enseignés ? Les rapports qui prévalent à l’école entre l’administration et ses administrés favorisent-ils une ambiance saine et sereine ? L’absentéisme de plus en plus généralisé parmi les enseignants et les élèves ne constitue-t-il pas un indice révélateur du mal-être éprouvé par les uns et par les autres au sein de l’institution éducative ? Les courts et les longs congés scolaires ne sont-ils pas attendus avec une extrême fébrilité ? Ne reprend-on pas à contrecœur le chemin de l’école après chaque période de vacances ? Qui, aujourd’hui, du côté des élèves comme du côté des enseignants, ne s’ingénie pas pour prolonger la durée de « ses » arrêts de cours ?

Certains professeurs de l’Université se réjouissent aujourd’hui à l’annonce d’une grève d’étudiants et souhaitent que celle-ci dure le plus longtemps possible. Même les journées de débrayage décidées par les syndicats des enseignants sont désormais perçues comme des congés supplémentaires dont il faut profiter aussi pleinement que les jours chômés du calendrier officiel ! L’envie de travailler et le goût du travail bien fait sont-ils devenus les vertus les moins partagées dans nos établissements scolaires et universitaires ? C’est tout un dossier qu’il faut ouvrir pour comprendre les changements déplorables survenus dans notre rapport à l’école et pour tenter de remédier à une situation pas encore désespérée.

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Témoignage

Un tableau noir !

Sami Tahri, professeur d’arabe, dit pourquoi…

Le Temps : Avez-vous le sentiment d’être heureux dans votre métier et à l’intérieur de l’établissement où vous enseignez ?

Sami Tahri : Franchement, non ! Comment voulez-vous qu’ un professeur éprouve de nos jours un tel sentiment de bonheur alors qu’avant même d’atteindre son établissement, il appréhende déjà une série d’imprévus désagréables, un ensemble de mauvaises surprises dont par exemple, une agression quelconque, la mauvaise mine du directeur, la visite impromptue d’un inspecteur remonté contre tous ceux qu’il encadre ! Sans compter l’ambiance lugubre qui envahit le lycée, les murs sales et inesthétiques qui vous accueillent, les salles surchargées où vous donnez votre cours. Le décor est dans son ensemble démotivant, décourageant ! A preuve, cette tendance de plus en plus répandue parmi les professeurs à marquer systématiquement une pause entre les séances de deux heures pour sortir de l’atmosphère étouffante de la salle de classe. Autre constatation : ces derniers vont désormais à reculons au lycée et dans leurs salles. On les dirait forcés de le faire. Ce n’est pas par défaut de conscience professionnelle, non ! Mais les établissements où ils exercent ne créent plus les bonnes conditions de travail, ils ne favorisent pas non plus des rapports sains et fructueux entre les partenaires de l’opération éducative. J’en connais, notamment parmi les femmes, qui ont une phobie de la classe !

La situation est-elle à ce point devenue insupportable ?

Oui, je n’invente rien et d’ailleurs ces enseignantes ne s’en cachent pas elles-mêmes. Le malaise est tel que l’on peut même parler de « mal de classe » généralisé. Les enseignants subissent de plus en plus de pressions et cela se traduit de diverses manières dans leur rapport à l’école. Autrefois, la salle des professeurs nous réunissait, c’était un espace convivial propice aux discussions enrichissantes, on s’y aérait l’esprit le temps d’une récréation. A présent, c’est d’un morne affligeant. On n’a plus ce sentiment de composer une seule famille. Chacun est entièrement à ses soucis particuliers et pour les surmonter, il cherche des solutions individualistes même au prix de sa dignité.

On vous envie pourtant pour les nombreux congés dont vous bénéficiez durant l’année !

Certes, c’est un privilège dont malheureusement nous profitons mal où à peine. La récupération physique est garantie, c’est vrai, mais l’aération mentale, le changement de décor, la pleine distraction, nous nous n’en avons pas les moyens !

N’est-ce pas misérabiliste que des professeurs se plaignent de manque d’argent lorsqu’il s’agit de profiter convenablement de leurs vacances ?

Je ne vous dirai pas que les professeurs vivotent avec le salaire qu’ils perçoivent. Mais l’on doit tenir compte des charges coûteuses de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent. Je ne parle pas de ceux qui donnent des cours particuliers. Mais la majorité des enseignants ont des dettes à honorer et cela les obsède et parfois influe sur leur rendement.

Qu’en est-il de vos élèves et de leurs rapports à l’établissement scolaire ?

Il y a plusieurs indices qui renseignent sur leur malaise à l’école ; nous autres professeurs, nous percevons ces signes avec netteté en classe : par exemple à travers la difficulté qu’ils trouvent à se concentrer, à suivre et à comprendre les cours, ou dans le nombre toujours élevé des absences et des cas de retard. Vous savez, aujourd’hui, nos élèves considèrent comme acquis le droit au retard. Comme chez eux, ils mettent du temps pour se réveiller et sortir de leurs lits, les portes de nos lycées restent maintenant ouvertes longtemps après 8 heures et 14 heures pour permettre aux masses de retardataires de ne pas manquer les leçons. Si au moins, ils y tenaient, à ces cours ; au contraire, il y en a de plus en plus qui rivalisent de prétextes pour quitter la salle de classe et qui vont même jusqu’à provoquer leur expulsion pour se retrouver dehors. C’est justement en face du lycée, dans le café d’en face ou dans les multiples coins environnants qu’ils aiment se retrouver et s’amuser. La cour de l’établissement est plutôt désertée pendant les récréations. Il ne faut pas oublier par ailleurs les faits de violences dont ils sont les auteurs à l’intérieur de leurs établissements et qui n’épargnent ni les personnes, ni les infrastructures. Il y a lieu également de psychanalyser les graffitis qu’ils inscrivent sur les pupitres ou sur les murs et qui traduisent une violence inouïe dirigée consciemment ou inconsciemment contre l’institution éducative. La propreté de leur établissement leur importe peu et ils n’y contribuent que très occasionnellement et sous une quelconque contrainte ! Il faut dire aussi que l’avenir leur paraît plutôt sombre et qu’ils en désespèrent parfois !

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La France dernière de la classe

Dans une enquête de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), effectuée en 2003-2004 dans 41 pays auprès de 275.000 jeunes de 15 ans, une des questions posée concernait le sentiment de bien-être des élèves à l’école. La France fut alors classée 41ème sur 41 !

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Les temps ont changé

Il fut un temps où les écoles et les lycées retenaient les élèves même les jours de congé. On y organisait de grandes fêtes, des compétitions culturelles et sportives, on y invitait des troupes musicales et théâtrales, des films y étaient régulièrement projetés. A l’époque des salles de permanence, les élèves internes et externes révisaient ensemble leurs cours. Ils partageaient aussi les goûters en fin d’après-midi. Les cours des lycées connaissaient une animation étourdissante pendant les pauses. Aujourd’hui et malgré les musiques soi-disant jeunes qu’on diffuse pendant les récréations, les élèves désertent ces cours et s’en vont fumer leurs cigarettes et siroter pendant des heures leurs « directs » ou leurs « capucins » dans la cafétéria d’à côté. Ils ont à cet effet plus d’argent de poche et dépensent un argent fou à se téléphoner pour se dire des niaiseries. Dans leur établissement, il ne se passe rien qui les séduise : pas d’activités distrayantes, pas de manifestations culturelles intéressantes, pas de cinéma, pas de clubs, pas de fêtes de fins d’année. Pourquoi s’étonner alors qu’ils cherchent leur bonheur ailleurs ?

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A l’Université : un malaise « supérieur »

A la faculté non plus, le tableau n’est pas reluisant : les établissements universitaires ne sont pas tous très accueillants ; les rapports entre professeurs et étudiants ont tendance à s’entacher d’une méfiance réciproque ; avec l’administration, ce n’est presque jamais la lune de miel ; entre les enseignants les inimitiés sont légion ; on se plaint un peu partout ces derniers temps du nouveau régime appelé LMD ; l’absentéisme des étudiants dépasse les bornes et l’optimisme diminue quant à l’avenir de plusieurs diplômés et de plusieurs filières. Toutes ces données et beaucoup d’autres répandent à notre avis plus d’angoisse que de bien-être dans le cœur des différents partenaires de l’enseignement supérieur.


le Temps

Tunis Vendredi 22 janvier 2010